Human Power eJournal
Contents | About | Contact

article 21b, issue 08

DE PLUSIEUR EXPÉRIENCES

Destinées à déterminer la quantité d'action que les hommes peuvent fournir par leur travail journalier, suivant les différentes manières dont ils emploient leurs forces.


Charles-Augustin de Coulomb

Note by the editors: The following is the result of applying optical character recognition to a scan of Coulomb's book and intial rough correction of errors. We hope to correct the many remaining errors and equations soon.

1. Le corps humain, composé de différentes parties flexibles, mues par un principe intelligent, se plie à une infinité de formes et de positions : considéré sous ce point de vue, c'est presque toujours la machine la plus commode que l'on puisse employer dans les mouvemens composés, qui demandent des nuances et des variations continues dans les degrés de pression, de vitesse et de direction.

Quoique la force des hommes soit très bornée, on l'emploie quelquefois de préférence à celle des animaux, même dans des mouvemens simples et uniformes, parce que dans quelques circonstances il est facile de suppléer par le nombre à ce qu'il manque de force à chaque individu; parce qu'ils occupent, à effet égal, souvent moins de place que les autres agens; parce qu'ils peuvent toujours agir par des machines plus simples et plus faciles à transporter que celles où l'on emploie les animaux; parce qu'enfin leur intelligence leur fait économiser leurs forces, modérer leur travail, suivant les résistances qu'ils ont à vaincre.

2. Il y a deux choses à distinguer dans le travail des hommes ou des animaux : l'effet que peut produire l'emploi de leurs forces appliquées à une machine, et la fatigue qu'ils éprouvent en produisant cet effet. Pour tirer tout le parti possibles de la force des hommes, il faut augmenter l'effet sans augmenter la fatigue; c'est-à-dire qu'en supposant que nous ayons une formule qui représente l'effet, et une autre qui représente la fatigue, il faut, pour tirer le plus grand parti des forces animales, que l'effet divisé par la fatigue soit un maximum.

3. L'effet d'un travail quelconque a sûrement pour mesure un poids équivalent à la résistance qu’il faut vaincre, multiplié par la vitesse et par le temps que dure l'action; ou, ce qui revient au même, le produit de cette résistance, multiplié par l'espace que cette résistance aura parcouru dans un temps donné : car l'on voit évidemment qu‘il résulte le même effet, soit qu’on élève dix kilogrammes à un mètre, ou un kilogramme a dix mètres, puisqu'en dernière analyse c'est toujours un poids d’un kilogramme élevé dix fois à la hauteur d'un mètre.

Mais de quelque nombre de roues ou de leviers qu’une machine soit composée, si un poids en entraîne un autre d'un mouvement uniforme, le poids tombant, considéré comme puisance, multiplié par l'espace qu'il parcourt, est, dans la théorie, égal au poids élévé, multiplié par la hauteur dant il s'élève; cette dernière quantité représente l'effet. Ainsi, dans la pratique, l'effet altéré par les frottemens, les chocs, et tous les inconvéniens des machines, est toujours inférieur à un poids équivalent à la puissance multipliée par l'espace qu’elle a parcouru.


4. Nous venons de voir que l'effet d’une machine a toujours pour mesure un poids élevé, multiplié par la hauteur à laquelle il est élevé. A présent, pour pouvoir comparer l'effet avec la fatigue que les hommes éprouvent en produisant cet effet, il faut déterminer la fatigue qui répond à un certain degré d’action. J'appelle action la quantité qui résulte de la pression qu’un homme exerce, multipliée par la vitesse et le temps que dure cette action; quantité, comme l’on voit, qui peut être représentée par un poids qui tombe d’une certaine hauteur dans un temps donné; et si, en produisant cette quantité d’action, l'homme éprouve toute la fatigue qu’il peut soutenir chaque jour sans dérangement dans son économie animale, cette quantité d’action mesurera l’effet qu’il peut produire dans un jour, ou, si l’on veut, le poids qu’il peut élever à une certaine hauteur dans un jour. Ainsi toute la question se réduit à chercher quelle est la manière dont il faut combiner entre eux les différens degrés de pression, de vitesse et de temps, pour qu'un homme, à fatigue égale, puisse fournir la plus grande quantité d'action.

Daniel Bernoulli, qui a discuté cette question, en ayant égard à la plus grande partie de ses élémens, dit que la fatigue des hommes est toujours proportionnelle à leur quantité d’action; en sorte qu’en n'outre-passant pas leurs forces naturelles, l’on peut faire varier à volonté la vitesse, la pression et le temps, et que, pourvu que le produit de ces trois quantités soit une quantité constante, il en résultera toujours pour l'homme un même degré de fatigue.

Il ajoute que de quelque manière que l'homme emploie ses forces, soit en marchant, soit en tirant, soit sur une manivelle, soit sur la corde d’une sonnette en élevant un mouton pour battre les pilots, soit enfin d’une manière quelconque, il produira, avec le même degré de fatigue, la même quantité d'action, et par conséquent le même effet. Il évalue le travail journalier des hommes, dans tous les genres de travaux, à un poids de 1728000 livres élevées à un pied, ce qui revient à 274701 kilogrammes élevés à un mètre. (Prix de l'Académie, tome VIII , page 7.)

Désaguilliers, et la plupart des auteurs qui ont eu besoin, dans le calcul des machines, d’évaluer l'action des hommes, ont adopté à peu près les mêmes résultats : tous ces auteurs citent des expériences; mais j'observerai que la plus grande partie des expériences qu’ils citent n’ont duré que quelques minutes, et que des hommes peuvent, pendant quelques minutes, fournir une quantité d’action à laquelle ils ne résisteraient pas une heure par jour : ainsi on n’en peut rien conclure.

 

5. Quoique, comme on le verra parla suite, la fatigue ne soit pas proportionnelle à la quantité d'action, ainsi que le veut le célèbre D. Bernoulli; quelle que soit cependant la formule qui représente la fatigue, elle doit être nécessairement une fonction de la pression qu’ils exercent, de la vitesse du point de pression, et du temps du travail. Ainsi il doit y avoir dans cette formule une combinaison de ces trois quantités, telle, qu’à fatigue égale, l’on ait le maximum d’action, et par conséquent le plus grand effet que les hommes peuvent produire en un jour.

Cette combinaison est différente, comme on le verra par la suite, suivant les différentes manières dont l'homme emploie ses forces : de là résulte cette conséquence, que, comme dans tout travail l’on doit tendre à fournir le plus grand effet, la quantité qui exprime le maximum d’action relativement à la fatigue, doit être l'objet principal des recherches qui vont suivre. Cette quantité est d'autant plus intéressante à déterminer, que, d’après la théorie de maximis et minimis, lorsqu’elle sera connue, l’on pourra faire varier sensiblement les élémens qui la composent, c'est-à-dire la vitesse, la pression et le temps, sans augmenter sensiblement la fatigue.

De la quantité d’action que les hommes peuvent fournir lorsqu'ils montent, pendant une journée de travail, une rampe ou un escalier, avec un fardeau ou sans fardeau.


6. Lorsque nous montons les escaliers de nos maisons, si nous n'avons pas à nous élever au-delà de 20 à 30 mètres, nous pouvons monter à raison de 14 mètres par minute. Pour calculer, d'après cette expérience, la quantité d’action fournie par un homme, dans ce genre de travail, pendant une minute, il fout multiplier le poids de l'homme par la hauteur à laquelle il s’est élevé. Le poids moyen d’un travailleur peut être supposé de 70 kilogrammes; ainsi, la quantité d'action qu’il fournit pendant une minute, a pour mesure 70 kilogrammes multipliés par 14 mètres, ou, ce qui revient au même, 980 kilogrammes élevés à un mètre de hauteur.

Si l’on suppose qu'un homme peut soutenir ce travail quatre heures par jour, la quantité d’action journalière aurait pour mesure un poids de 235200 kilogrammes élevés à un mètre de hauteur. Mais la supposition de quatre heures de travail effectif par jour est absolument hypothétique; lorsqu’on ne doit monter qu’à 15 ou 20 mètres de hauteur, on peut fournir ce degré d'action, et même un beaucoup plus considérable; mais s’il faut s’élever au-delà de 30 à 40 mètres, l’on se sent forcé de diminuer de vitesse et de ralentir son mouvement.

J’ai souvent vu monter des hommes, sans aucune charge, à 150 mètres de hauteur, par un escalier taillé dans le roc, mais assez commode, et j’ai trouvé qu’ils employaient 20 minutes à s’élever à cette hauteur; j’ai voulu les engager à monter dix-huit fois cet escalier dans la journée; ce qui n'exigeait, d'après mon calcul, que six heures de travail effectif. Comme je ne voulais et que je ne devais, d’après l'objet que je me proposais, leur donner que le prix d’une journée, ne voulant pas les engager à un travail forcé, je n’ai pas pu les déterminer à une promenade qui leur paraissait aussi fatigante que ridicule.

Je commençais à désespérer de pouvoir me procurer la mesure de la quantité d’action que les hommes peuvent fournir dans ce genre de travail, lorsque je me suis souvenu que notre confrère , M. Borda, avait corrigé, par des opérations géométriques très précises, les mesures fautives que nous avions avant lui de la hauteur du pic de Ténériffe. Voici ce qu'il a bien voulu me communiquer, et qui est affirmé par un procès-verbal signé par tous ceux qui ont coopéré à son travail.

L’on monte le pic de Ténériffe en deux jours; le premier jour à 2993 mètres : cette première journée peut se faire à cheval; mais le second jour l’on ne monte qu’à 857 mètres, autant avec les mains qu'avec les pieds, sur des pierres et des scories qui roulent sous les pieds et vous entraînent à chaque pas; il faut même, pour gravir les cent derniers mètres, se soutenir avec des cordes. Après avoir visité le sommet du pic, l'on redescend coucher à la station de la veille. Nous ne pouvons, d’après ce détail, nous servir, pour évaluer le travail journalier des hommes, que du chemin parcouru dans la première journée.

M. Borda a voyagé la première journée à cheval, ainsi que tous les officiers de son vaisseau; mais il y avait huit hommes à pied qui l'accompagnaient; trois guides, deux hommes portant les boussoles, les baromètres et les thermomètres; il estime la charge de chacun de ces hommes à 7 à 8 kilogrammes; deux hommes menaient des chevaux chargés; et le huitième était un voyageur, fils de M. Lalouette, médecin de Paris. Lorsque les hommes à pied ont été arrivés ils sont encore redescendus une cinquantaine de mètres pour chercher du bois afin de pouvoir allumer du feu; ce qui prouve qu'ls n'etaient pas excédés de fatigue. Les 2923 mètres ont été montés par les huit hommes depuis neuf heures du matin jusqu’a cinq heures et demie; sur quoi il y a eu une halte de trois quarts d’heure pour dîner; ainsi, il n'y a eu que sept heures trois quarts de travail effectif. Il faut remarquer que la plupart de ces hommes étaient des marins peu habitués à des matches forcées.


7. Si nous supposons que les hommes à pied ont consommé, en montant à cette hauteur, toute la quantité d’action qu’ils peuvent fournir dans une journée, il faudra pour avoir cette quantité, multiplier leur poids, que nous avons évalué à 70 kilogrammes, par 2923 mètres, hauteur à laquelle ils sont montés le premier jour, ce qui donne une quantité équivalente à 204610 kilogrammes élevés à un mètre; mais il faut remarquer que la rampe très irrégulière qu’ils parcouraieut devait beaucoup plus fatiguer les hommes que s’ils étaient montés par un escalier commode; que cette rampe avait plus de 20000 mètres de longueur horizontale, au lieu qu’un escalier commode, qui aurait monté à 2923 mètres, n’aurait eu de largeur de marches que 8 à 9000 mètres, ce qui a nécessairement fait consommer inutilement une partie de l'action. Mais, comme en montant une rampe ou un escalier il y a une combinaison du mouvement horizontal et du mouvement vertical, qui pourrait être sujette à discussion, je me contenterai de supposer que les hommes qui montent un escalier commode, quelqu'habitués qu’ils soient à ce genre de travail, ne peuvent s’élever qu’à la hauteur de 2923 mètres, comme l’expérience nous le donne pour les hommes qui ont gravi le pic de Ténériffe, sur une rampe irrégulière, et où leurs pieds n’étaient pas posés commodément; d’où il résulte, comme nous l'avons déjà trouvé, une quantité d'action que l’on peut évaluer en nombre rond à 205 kilogrammes élevés à un kilomètre.

Quoique, d'après toutes les observations répandues dans cet article, il soit probable que cette quantité d’action de 205 kilogrammes élevés à un kilomètre est trop faible pour exprimer la quantité de travail journalier que peut fournir un homme habitué à ce genre de travail, et montant librement un escalier commode, sans aucune charge, cependant cette quantité d’action est si supérieure à toutes celles que le même homme peut fournir dans un travail journalier quelconque, en agissant avec ses bras, ou par un autre moyen, que j’aime mieux courir le risque de rester un peu au-dessous de la véritable valeur du genre de travail que je cherche ici à déterminer, que de risquer de la dépasser.


8. Nous venons d'évaluer à 205 kilogrammes élevés à un kilomètre, la quantité d'action journalière des hommes qui montent un escalier commode sans être chargés d'aucun fardeau; il faut actuellement chercher à comparer cette quantité d’action avec celle que les hommes peuvent fournir lorsqu’ils montent un fardeau.

J'ai fait souvent monter du bois de chauffage à 12 mètres de hauteur; je n’ai jamais pu parvenir à en faire monter, par le même homme, plus de six voies dans un jour : il m’a toujours dit qu’il lui serait impossible de continuer un pareil travail plusieurs jours de suite. Cet homme était d'une force un peu au-dessus de la force moyenne; je le payais à raison d’un franc par voie.

Je puis donc regarder les six voies de bois comme le plus grand fardeau que les hommes puissent élever à 12 mètres de hauteur dans un jour. Ainsi, je n’ai plus qu’à comparer la quantité d'action que fournit un homme qui monte un escalier sans charge, avec celle d’un homme qui élève dans la journée un pareil fardeau.

La voie de bois pesait moyennement 734 kilogrammes; l'homme la montait en onze voyages; en dix voyages les premières voies, en douze les dernières; il montait à chaque voyage 66,7 kilogrammes; l’on peut supposer 68, à cause du poids des crochets. Ajoutons à cette charge le poids du corps de l’homme, que nous avons suppose de 70 kilogrammes, nous aurons, pour la quantité d’action fournie dans chaque voyage, 138 kilogrammes élevés à 12 mètres; et comme le porteur faisait dans la journée soixante-six voyages, l’on aura, pour la quantité d’action fournie dans la journée, les trois nombres 138, 66 et 12 multipliés ensemble, ou, ce qui revient au même, 109 kilogrammes élevés à un kilomètre.

Nous avons vu, dans l'article qui précède, qu’un homme qui n’est chargé d’aucun fardeau, peut, dans sa journée, élever 205 kilogrammes à un kilomètre; ainsi, la quantité l'action journalière des hommes qui montent naturellement un escalier, est à celle de l'homme chargé de 68 kilogrammes, comme 188 est à 100; rapport que, d'après les observations qui précèdent, je crois trop faible; on s'eloignera peu de la vérité en supposant que deux hommes montant sous une pareille charge, peuvent fournir la même quantité d’action qu’un seul sans fardeau. Ce résultat, où je crois avoir évalué trop bas, comparativement, la quantité d'action fournie par les hommes qui montent librement un escalier, avec celle de l'homme chargé, est contraire à l'assertion de D. Bernoulli, et de presque tous les auteurs qui l'ont suivi, qui disent que, pourvu que les charges ne dépassent pas les forces des animaux, la quantité l'action journalière sera toujours une quantité constante.

J’ai demandé aux diflérens hommes qui ont monté mon bois, quel était le plus grand travail de ce genre qu’ils pouvaient fournir dans un jour. Celui qui passait pour le plus fort de ses camarades, m’a dit avoir monté une fois dix-sept voies de bois dans un jour, à un premier étage, dont il estimait la hauteur à cinq mètres; qu’il avait été ensuite deux jours sans pouvoir travailler.

Si nous soumettons au calcul le travail de cet homme, nous trouvons, d'après sa reponse, qu’il a dû faire 187 voyages; que la quantité d’aetion qu’il a fournie est équivalente à un poids de 129 kilogrammes élevés à un kilomètre. Quoique cette quantité d'action réponde à une fatigue journalière qu’un homme très fort peut à peine soutenir, elle n’est cependant à la quantité d'action de l'homme qui monte un escalier avec une fatigue sûrement beaucoup moindre, que dans le rapport de 129 a 205, ou à peu près comme 10 est à 16.


9. Dans le calcul, je n’ai pas eu égard à la quantité d’action que les hommes consomment en descendant l'escalier; mais, comme dans cette descente ils ne parcouraient guère que 1800 mètres, et que, d'après leur aveu même, il ne parait pas qu’il soit beaucoup plus fatigant de descendre que de marcher sur un terrain horizontal, où un homme, dans une forte journée de travail, parcourt au moins 50000 mètres, la fatigue due à la descente ne peut pas être évaluée au-delà de la vingt-cinquième partie du travail journalier; et l’on peut d’autant plus la négliger, que la quantité d’action journalière de l'homme qui monte le bois est probablement trop forte, relativement à celle de l'homme qui monte librement et sans charge.


10. Dans ce genre de travail il se présente une observation intéressante, relative à l'effet utile du travail. Lorsque l'homme monte un fardeau, il monte son propre poids avec le fardeau; et comme, à chaque voyage, il redescend à vide, il n’y a d'effet utile dans la quantité d’action qu’il fournit, que le transport du fardeau. Mais il résulte de ce qui précède, qu’il mesure que le fardeau augmente, la quantité totale d’action journalière diminue; en sorte qu'elle serait nulle si un homme était chargé de 150 kilogrammes, poids sous lequel il pourrait à peine se mouvoir; d’un autre côté, s’il montait sans fardeau, quoique pour lors la quantité d’action journalière soit le maximum de toutes les quantités d’action qu’il peut fournir par son travail journalier, le fardeau étant nul, l’effet utile le serait aussi. Ainsi, entre ces deux limites d’action, il doit y avoir pour le poids de la charge, une valeur telle, que l'effet utile que fournira le travail journalier, soit un maximum ; il est intéressant de déterminer cette valeur.

Pour y réussir d’une manière exacte, il faudrait avoir une  ormule qui représentât la quantité d’action journalière que les hommes peuvent fournir sous différentes charges, mais, dans la pratique, l'on peut se contenter d’une formule approchée; et la plus simple, pourvu qu’elle donne une diminution continue à mesure que la charge augmente, et qu’elle s’accorde avec les poids qui servent de limite au maximum et au minimum d'action, qu’elle comprenne de plus une valeur intermédiaire fournie par l'expérieuce, donnera, presque à coup sûr, des erreurs moins grandes que les différences qui résulteraient de deux expériences faites à différens jours. Il sera facile, en nous conformant à cette observation, de déterminer la charge qui donne le maximum d'effet utile.


11. Lorsqu’un homme monte librement un escalier, nous avons vu qu’en négligeant les fractions, dont il est inutile de tenir compte dans une recherche de ce genre, sa quantité d'action journalière a été représentée par 205 kilogrammes élevés à un kilomètre; mais que lorsqu'il porte une charge de 68 kilogrammes, sa quantité d'action journalière a été représentée par 109 kilogrammes élevés à un kilomètre. Ainsi, en retranchant ce second nombre du premier, nous trouverons qu'un fardeau de 68 kilogrammes a diminué la quantité d'action qu’un homme fournit lorsqu’il monte librement un escalier, de 96 kilogrammes élevés à un kilomètre.

Il paraît à présent que nous pouvons supposer, sans grande erreur, dans une question du genre de celle qui nous occupe, que les quantités d'action perdues sont proportionnelles aux charges; et pour lors, si nous nommons P une charge quelconque, nous aurons la quantité d’action que cette charge fait perdre, en faisant 68 : 96 :: P : la quantité d’action perdue, qui est par conséquent égale à 96/68 P = 1,41 P, ou 1,41 kilomètre multiplié par P.

Ainsi, comme la quantité d'action que l'homme fournit en montant librement un escalier est de 205 kilogrammes élevés à un kilomètre, nous aurons, pour la quantité d'action journalière qu'il peut fournir sous la charge P, la formule 205 - 1,4 P. Ici 205 représente 205 kilogrammes élevés à un kilomètre, et 1,41 représente un kilomètre 41 centièmes, hauteur où est élevé le poids P.

Si h est supposé la hauteur à laquelle l'homme chargé du poids P peut s’élever par son travail journalier, Ph sera l'effet utile du travail, et (70 + P)h sera la quantité totale d'action fournie par l'homme, dont la pesanteur est de 70 kilogrammes, qu’il élève en même temps que le poids P. Ainsi, nous avons l'égalité

(70 + P)h = 205 – 1,41 P;

d'où résulte, pour l'effet utile,

Ph = (205 – 1,41)/(70 + P) P.

Faisant 205 = a, 1,41 = b, 70 = Q, nous aurons

Ph = (a-bP)P/Q+P ,

quantité dans laquelle, pour avoir le maximum de Ph, il faut faire varier P, et la différecre de la quantité qui représente Ph égale à zéro; il en résultera, pour la valeur de P,

P=Q[(1 + a/bQ)^1/2 - 1] .

En substituant les valeurs numériques de a, b, Q, nous trouverons P = 0,754 x Q = 53 kilogrammes.


12. Si, dans la formule Ph = (205-1,41P)P/(70+P), qui représente l'action utile, je substitue à la place de P, 53 kilogrammes, j'aurai Ph = 56 kilogrammes élevés à un kilomètre. Ainsi, ce genre de travail où les hommes montent des fardeaux, et redescendent ensuite pour prendre une nouvelle charge, ne fournit en travail utile que 56 kilogrammes élevés à un kilomètre, tandis que l'homme montant librement fournit une quantité d’action journalière qui a pour mesure 205 kilogrammes élevés à un kilomètre. Il en résulte que ce genre de travail fait consommer inutilement presque les trois quarts de l'action des hommes, et coûte par conséquent quatre fois plus qu’un travail où, après avoir monté un escalier sans aucune charge, ils se laisseraient retomber par un moyen quelconque, en entraînant et élevant un poids d’une pesanteur à peu près égale au poids de leur corps. Ainsi, ce genre de travail, quoique très en usage surtout dans les villes, ne doit jamais être employé dans des ateliers qui exigent de la célérité, de l'économie et un travail continu.

Pour vérifier si la supposition que nous avons faite de la diminution de la quantité d’action proportionnelle aux charges , peut donner des erreurs sensibles dans la pratique, il faut voir si la quantité d’action que l'homme peut fournir dans une journée déterminée d’après la formule (205 – 1,41 P), donnera, au point où elle devient 0 (parce que l'homme est chargé du plus grand poids qu’il puisse porter), une quantité approchée de celle fournie par l'expéricnce. Faisant donc 205 - 1,41 P = 0, nous aurons P = 145 kilogrammes, poids effectivement le plus grand qu’un homme d'une force moyenne puisse porter à une très petite distance.

Ainsi il paraît, d’après ce résultat, que la formule que nous avons tirée de l'expérience pour déterminer le maximum de l'effet utile que peuvent fournir les hommes en montant un escalier sous une charge quelconque, répond en même temps aux deux limites, c'est-à-dire, au maximum d'action totale de l'homme montant librement et sans charge, au minimum d'action lorsque l'homme est chargé d'un poids si considérable qu’il ne peut plus se mouvoir, et à une quantité intermédiaire de 68 kilogrammes fournie par l'expérience, charge ordinaire des hommes qui montent des fardeaux.


13. Revenons à l'examen du maximum de l’effet utile. Nous venons de trouver que pour qu’un homme fournisse cet effet, il faut qu’à chaque voyage il ne porte que 53 kilogrammes; nous avons cependant vu qu’il se chargeait, dans notre expérience, de 68 kilogrammes à chaque voyage. Cette différence entre les résultats du calcul et l'expérience mérite que nous cherchions à en développer les causes.

La première chose qu’il faut déterminer, c’est la différence qui résulte, pour l'effet utile du travail, de la substitution d’un poids de 68 kilogrammes à la place d'un poids de 53 kilogrammes donnés par la formule qui représente la quantité utile de l'action.

D’après l'expérience art. 8, le travailleur a fait soixante-six voyages. A chaque voyage il montait à 12 mètres de hauteur un fardeau de 68 kilogrammes; ce qui donne, pour la quantité d'action utile, 12.66. 68 = 53,86 kilogramnes élevés à un kilomètre. Nous avons trouvé, article précédent, que lorsque la charge est de 53 kilogrammes, l'effet utile est un maximum, et que sa valeur est de 56 kilogrammes élevés à un kilomètre; quantité qui n’ai guère que d’une vingt-sixième partie plus grande que celle que fournit l'homme chargé de 68 kilogrammes.

L’on conçoit, d'après cette comparaison, que les travailleurs qui exécutent oes sortes de travaux ne peuvent avoir aucune idée d’une si petite différence, tandis qu'ils ont intérêt, pour être associés par leurs camarades à des entreprises lucratives , de passer pour très forts; d'ailleurs, ce qui leur doit faire illusion , c’est qu'ils diminuent le nombre des voyages en augmentant chaque charge particulière.

Si l’on veut se convaincre de la vérité de ces motifs, il n’y a qu’à demander aux plus forts travailleurs de ce genre, ceux qui se vantent de monter une voie de bois à 12 mètres de hauteur en sept à huit voyages, s’ils peuvent monter les six voies en quarante-huit voyages; ils avoueront tous que cela n’est pas possible, et que lorsque ce travail doit durer une partie considérable de la journée, il faut nécessairement diminuer les charges, augmenter le nombre des voyages à proportion; qu'autremeut l’on serait bientôt excédé de fatigue.

Comparaison de la quantité d’action que les hommes peuvent fournir lorsqu'ils voyagent dans un chemin horizontal, avec une charge ou sans charge.

 

14. Lorsque les hommes voyagent pendent plusieurs jours et sans aucune charge, ils peuvent parcourir facilement dans leur journée 50 kilomètres. Si je suppose leur poids moyen de 70 kilogrammes, comme je l’ai déjà fait dans les articles qui précèdent, la quantité d'action qu‘ils fournissent sera représentée par 70 kilogrammes multipliés par 50 kilomètres, ou, ce qui revient au même, par 3500 kilogrammes transportés à un kilomètre.

Pour pouvoir à présent comparer la quantité d'action journalière que l'homme peut fournir lorsqu’il voyage sans fardeau, avec la quantité d'action que fournit le même homme lorsqu’il voyage avec un fardeau, voici comment je m’y suis pris.

J'ai proposé à différens porte-faix de porter des meubles d'un logement dans un autre, à une distance de 2 kilomètres, en se chargeant, à chaque voyage, d'un poids de 58 kilogramm.: ils m'ont tous dit que tout ce qu'ils pourraient faire était six voyages dans la journée, et qu'il serait impossible qu'ils soutinssent pendant deux jours de suite un pareil travail. Aucun d'eux n'a voulu l'entreprendre à moins de 12 à 15 décimes par voyage.

Si nous établissons notre calcul sur ces données, nous trouverons, en joignant le poids de l'homme, qui est 70 kilogrammes, avec la charge, qui est de 58 kilogratmnes, que le poids transporté à 2 kilomètres chaque voyage est 128 kilogrammes. Ainsi, pour avoir la quantité d'action fournie dans les six voyages, il faut multiplier 128 kilogrammes par 12 kilomètres, quantité qui équivaut à 1536 kilogrammes transportés à un kilomètre.

Mais pour avoir la quantité totale du travail journalier, il faut ajouter à cette première quantité la fatigue qui résulte des 12 kilomètres que les hommes parcourent en revenant chercher une nouvelle charge. Comme ici ils n'ont plus de fardeau, et que les hommes, dans une journée, peuvent parcourir 50 kilomètres, ils consomment dans ce retour à peu près la quatrième partie de leur action journalière; et des 1556 kilogrammes portés à un kilomètre, qui représentent la partie de leur travail lorsqu'ils sont chargés, font les trois quarts du travail journalier. Ainsi le travail ou la quantité d'action que les hommes peuvent fournir dans une journée, sous une charge de 58 kilogrammes, peut être évalué à une quantité équivalente à 2048 kilogrammes transportés à un kilomètre.

D'où il résulte que la quantité d'acuon journalière que les hommes peuvent fournir lorsqu'ils marchent librement, est à celle qu'ils peuvent fournir lorsqu'ils sont chargés de 58 kilogrammes, comme 3500 est à 2048, approchant comme 7 est à 4.

 

15.  J'ai ensuite interrogé plusieurs colporteurs, pour savoir quel était le plus grand poids qu'ils portaient dans leurs voyages, et quelle longueur de chemin ils pouvaient parcourir dans une journée avec ce poids. Le résultat moyen de la réponse de ceux qui me paraissaient les plus forts, a été que, chargés de 44 kilogrammes, tout le chemin qu'ils pouvaient faire dans la journée était de 18 à 20 kilomètres.

Pour calculer la quantité totale d'action fournie d'après la réponse des colporteurs, il faut ajouter le poids de l'homme, qui est 70 kilogrammes, à sa charge, qui est de 44; ce qui donnera une masse de 114 kilogrammes transportés dans la journée à 19 kilomètres, ou, ce qui revient au mème, 2166 kilogrammes transportés à un kilomètre. Nous avions trouvé, à l'article qui précède, d'après la demande des porte-faix, pour la quantité d'action journalière, 2048 kilogrammes transportés a un kilomètre, quantité un peu moindre que celle qui nous a eté fournie par le travail des colporteurs; mais il faut observer que la charge des porte-faix était plus grande que celle des colporteurs; ce qui, d'après les résultats de l'expérience, fait nécessairement perdre une partie de l'action. L'accord qui se trouve entre ces deux résultats nous prouve que nous ne nous éloignerons pas beaucoup de la vérité, si nous supposons que sous une charge de 58 kilogrammes, les hommes, en voyageant dans un chemin horizontal, peuvent fournir par leur travail journalier une quantité d'action équivalente è un poids de 2000 kilogrammes transporté à un kilomètre.

Je prends ici un résultat approchant de celui fourni par les porte-faix, parce que j'ai presque toujours trouvé que les colporteurs accusent une charge un peu plus forte que celle qu'ils portent, que d'ailleurs leurs journées étant très irrégulières, ils ne peuvent avoir qu'une idée imparfaite de la quantité de leur travail journalier.

 

16. Il nous reste, d'après les expériences qui précèdent, à déterminer quelle doit ètre la charge de l'homme pour qu'à fatigue égale il puisse produire le plus grand effet utile. Cet effet se mesure par le fardeau transporté, multiplié par la distance à laquelle il est transporté; car ici, comme dans la question qui précède, la quantité d'action qu'exige le transport du corps de l'homme est absolument en pure perte pour l'effet utile du travail.

Commençons par déterminer la quantité d'action que le fardeau fait perdre; dans tout le reste nous suivrons la méthode que nous avons expliquée, aux articles qui précèdent, pour un homme qui monte un escalier.

Nous trouvons donc d'abord que lorsque les hommes voyagent librement et sans charge, ils peuvent parcourir 50 kilomètres; que pour lors ils fournissent dans leur travail journalier une quantité d'actiou équivalente à un poids de 3500 kilogrammes transporté à un kilomètre.

Nous trouvons en second lieu que lorsque les hommes sont chargés de 58 kilogrammes, ils fournissent par leur travail journalier une quantité d'action equivalcnte à un poids de 2000 kilogrammes transporté à un kilomètre. Ainsi la quantité d'action journalière que fait perdre une charge de 58 kilogrammes, est équivalente à un poids de 1500 kilogrammes transporté à un kilomètre.

 transporté à un kilomètre. 

Si à présent nous supposons, comme nous avons vu plus haut qu'il est psnible de le faire dans une recherche de ce genre, que les pertes d'action sont proportionnelles aux charges; en nommant P la charge, et x la quantité d’action que fait perdre cette charge, nous aurons 1500 : x :: 58 : P, d’où

 x = 1500P/58 = 25,86 P.

 Ainsi, la quantité d'action journalière que peut fournir un homme sous la charge P, est égale à la quantité d‘action qu’il peut fournir sans charge, diminuée de la quantité d'action perdue en raison de la charge P; ce qui donne, pour la quantité d'action journalière, 3500 - 25,86 P, dans laquelle 3500 représente 3500 kilogrammes multipliés par un kilomètre, et 25,86 représente des kilomètres.


17. Si nous cherchons d'après cette formule quel est le plus grand poids qu'un homme puisse porter, ou, ce qui revient au même, celui sous lequel il cesse d’agir, il faudra faire la quantité d’action 3500-25,86P=0; ce qui donne P=135,4 kilogrammes, quantité qui est effectivement à peu près celle qu’un hommee d‘une force moyenne peut porter pendant très peu de temps. Cette quantitée, qui donne la limite de l'action de l'homme dans ce genre de travail, et qui nous a été fournie par la supposition de la quantité d'action perdue proportionnelle à la charge, est une preuve oertaine que cette supposilion n'a pas pu nous faire commettre des erreurs considérables.


18. Il faut à présent déterminer quelle est la charge sous laquelle l’homme qui transporte des fardeaux peut fournir un maximum d'effet utile. Supposons que sous la charge P, l'homme, dans son travail journalier, parcoure l'espace l, sa quantité d’action journalière, en faisant Q=70 kilogrammes, qui est le poids de son corps, sera (P+Q)l; quantité qui doit etre égale à (3500-25,85 P) qui représente la même quantité d'action lorsque l'homme est chargé du poids P; ainsi l'on a

 (P+Q)l = (3500 - 25,86 P);

 d’ou l’on tire

 Pl=(3500-25,86P)/P+Q.

 Cette quantité Pl représente la charge multipliée pa l'espace qu'elle a parcouru, et par conséquent e'effet utile du travail. C'est cette quantité qu’il faut différencier en faisant P variable et la différence égale à 0, pour avoir le plus grand effet utile. Si je suppose 3500 = a, 25,86 = b, il résultera de la différence de cette quantité égale à 0, la même formule qu’à l'article X1; P = Q[(1+a/bQ)^1/2-1]; dans laquelle égalité, si nous substituons les nombres , nous aurons

 P = 0,72 x Q = 50,4 kilogrammes.


19, Dans le genre de travail que nous soumettons ici au calcul, il y a un cas particulier qui a presque toujours lieu dans les transports qui se font dans les villes; c'est celui où les hommes portants des charges, soit à dos, soit sur des brancards, reviennent à vide chaque voyage pour chercher une nouvelle charge. Il est nécessaire de déterminer dans ce genre de travail quelle est la charge sous laquelle un homme peut fournir le plus grand effet utile. Si l=50 kilomètres, longeur du chemin qu'un homme peut parcourir dans un jour lorsqu'il n'est chargé d'aucun fardeau, en supposant toujours Q = 70 kilogrammes, poids de son corps, Ql sera la quantité d'action qu'il peut fournir dans la journée lorsqu'il ne porte aucun poids; mais s'il ne parcourt sans charge que l'espace x, plus petit que l, Qx sera seulement une portion de son travail journalier. Si l'on divise cette portion de travail par Ql, qui est le travail qu'il peut fournir dans la journée, Wx/Ql ou (x/l) sera la portion d'un travail journalier sans charge, dont l'unité cst la totalité; car x devenant l,x/l sera égal à l'unité.

Mais comme ici l'homme parcourt lc mème chemin x chargé et non chargé, et que lorsque l'homme est chargé du poids P, nous avons trouvé la quantité d'action qu'il peut fournir dans son travail journalier, égale à 3500 - 25,86 P; puisque la portion de l'action sous cette charge P est représentée par (P + Q)x, le rapport de cette quantité avec la quantité d'action journalière représentera la portion du travail journalier qu'il aura fournie sous cette charge. Ainsi, nous aurons, pour cette portion de travail, (P+Q)x/3500-25,86P; et comme la somme du travail de l'homme chargé, et du travail du mémé homme marchant librement, doit égaler le travail de la journée, nous aurons

 

x/l + (P+Q)x/3500-25,86P = 1.

 

Mais comme Ql = 3500, qui est la quantité qui résulte du poids de l'homme Q multiplié par le chemin l qu'il peut parcourir dans un jour lorsqu'il n'est chargé d'aucun fardeau, faisons h = 25,86 kilomètres; l'équation qui précède deviendra Px = P(Ql2-h/P)/2Ql+P(l-h), ou Px exprime la portion d'action qui est égale à l'effet utile que l'homme peut fournir dans une journée de travail.

Il faut différencier la valeur de Px en faisant P variable, et supposer la différence égale à 0.

Pour simplifier, je fais a=Ql2, b=hl, c=2Ql, f=l-h; ainsi Px = aP-bP2/c+fP. En différenciant le second membre, la différence égalée à 0, nous aurons, en ordonnant la formule, ca-2bcP-bfP^2=0; d'où résulte P = c/f[(1+fa/bc)^1/2-1].

En remettant les chiffres à la place des lettres, nous aurons

 

f = l - h = 24,14.

a = Ql²=70.50^2=175000,

b = hl=25,86.50,

c = 2Ql=2.70.50=7000.

 

Ces valeurs substituées, nous tirerons P= 61,25 kilogrammes.

Ce fardeau est à très peu près celui que portent des hommes d'une force moyenne lorsqu'ils sont obligés de faire dans une journée plusieurs voyages à de grandes distances; ainsi il ne doit pas rester de doute sur l'exactitude des élémens dont ce résultat est déduit.

 

20. Si nous voulons avoir, d'après cette valeur de P= 61,25 kilogrammes, la quantité d'action utile que les hommes fournissent dans ce genre de travail, il faut substituer 61,25 à la la place de P dans la formule aP-bP^2/c+fP, qui représente Px, et nous trouverons, d'après cette substitution, Px=692,4 kilogrammes transportés à un kilomètre, qui représente la plus grande quantité d'action utile ou d'effet qu'un homme peut fournir dans sa journée.

En substituant dans la formule, à la place de P, 58 kilogrammes, poids dont nous avons d'abord supposé l‘homme chargé, nous trouverions, pour la quantité d'action utile, Px = 691 kilogrammes transportés à un kilomètre.

Si nous supposions P égal à 65 kilogrammes, nous trouverions Px = 690 kilogrammes transporté à un kilomètre; ainsi l'on voit qu’une augmentation ou une diminution de charge de 4 à 5 kilgrammes ne produit que des différences insensibles dans le maximum d'effet utile.

Si nous voulions comparer la quantité d’action que l'homme fournit en marchant librement, avec la quantité d‘effet utile qu'il peut produire dans ce genre de travail, nous trouverions qu'un homme marchant sans fardeau, pouvant produire une quanlité d'action représentée par 3500 kilogrammes transportés à un kilomètre, tandis que lelffet utile a pour mesure 692,4 kilogrammes transportés à un kilomètre, ces deux quantités sont entre elles comme 505 est à 100, très approchant comme 5 est à 1; c'est-à-dire que dans ce genre de travail la quantité d’action employée utilement n‘est que la cinquième partie de celle que peut fournir dans sa journée un homme qui marche sans fardeau.

 

21. Les quantités d'action que fournissent des hommes en montant un escalier, ne sont pas du même genre que celles des hommes qui marchent librement sur un terrain horizontal, parce que, dans le premier cas, ils sont obligés, à chaque pas, d‘élever leur centre de gravité à la hauteur d'une marche, tandis que les hummes qui parcourent un chemin horizontal donnent à leur corps une vitesse parallèle au terrain; que cette vitesse n'est pas détruite par leur pesanteur, en sorte qu’ils n’ont à produire à chaque pas que le transport alternatif des jambes et l'élévation très peu considérable de leur centre de gravité, qui s'élève ct retombe à chaque pas par un mouvement oscillatoire de 2 ou 3 millimètres; ce qui dépend principalement de l'art que les hommes acquièrent, lorsqu'ils voyagent souvent, d'élever très peu leur centre de gravité, et de le soutenir à peu près parallèlement au terrain sur lequel ils marchent.

Mais quoique ces deux genres d'action ne soient pas da la même nature, il n'en est pas moins curieux de chercher à comparer, à fatigue égale, la hauteur où un homme peut élever son centre de gravité, avec le chemin qu'il peut parcourir sur un terrain horizontal. Les résultats des calculs et des expériences qui précèdent vont nous fournir celte comparaison.

Lorsque les hommes montent sans aucun fardeau un escalier, leur quantité d'action journalière se mesure par 205 kilogrammes élevés à un kilomètre; lorsqu'ils parcourent un chemin horizontal, leur quantité d'action journalière se mesure par 3500 kilogrammes transportés à un kilomètre. Ces deux quantités sont à peu près entre elles comme 1 est à 17.

La hauteur ordinaire t'une marche d'escalier peut être supposée de 135 millimètres, sa largeur étant à peu près trois fois sa hauteur. Ainsi dix-sept fois 135 millimètres, ou 2295 millimètres, représenteront la longueur du chemin horizontal qu'un homme peut parcourir avec le même degré de fatigue que lorsqu'il monte une marche de 135 millimètres. Mais comme le pas horizontal ordinaire d'un homme est de 65o millimètres, il en résulte qu'une homme éprouve le même degré de fatigue en montant une marche de 135 millimètres, qu'en faisant trois pas et demi sur un chemin horizontal.

De la quankte d'action que les hommes peuvent fournir dans leur travail journalier lorsqu'ils transportent des fardeaux sur des brouetts.

 

22. Le genre de travail que nous allons soumettre au calcul est en usage dans tous les travaux civils et militaires qui exigent des transports de terre. Le maréchal de Vauban, qui de tous les ingénieurs est peut-être celui qui a le plus fait exécuter des travaux de ce genre, nous a laissé, dans une instruction imprimée dans la Science des Ingénieurs de Bélidor, les résultats de plusieurs expériences d'après lesquelles l'un peut essayer de calculer la quantité d'action que les hommes peuvent journellement fournir dans ce genre de travail. Voici ce que dit Vauban; je réduis les mesures dont il s'est servi à nos mesures actuelles.

«Un homme, dans son travail journalier, peut transporter dans une brouette 14,79 mètres cubes de terre à 29,226 mètres de distance; il porte cette masse de terre en cinq cents voyages : ainsi il parcourt chargé 14,613 kilomètres, et autant en ramenant la brouette déchargée.»

Il faut joindre à ces données de Vauban quelques autres remarques. Lorsque la brouette est chargée, les hommes, en saisissant les bras de la brouette à 15 décimètres à peu près de distance de l'essieu, soutiennent une partie de la charge et une partie du poids de la brouette; le reste du poids est porté par le point du terrain sur lequel pose la roue.

J'ai trouvé, en soutenant la brouette chargée, au moyen d'un peson, au même point où les hommes tiennent les bras, que la partie du poids qu'ils soutiennent est de 18 à 20 kilogrammes; que lorsque la brouette est vide, ils ne portent que 5 à 6 kilogrammes.

J'ai encore trouvé que lorsque la brouette est chargée, les bras étant soutenus par des cordes attachées à un point très élevé, la force nécessaire pour pousser la brouette sur un terrain sec et uni est de 2 à 3 kilogrammes. Cette dernière force dépend en grande partie des petits ressauts que la roue éprouve sur le terrain : elle varie suivant l'adresse du travailleur, qui ne sait pas toujours se rendre maître du mouvement de sa brouette.

 

23. Pour déterminer, d'après l'expérience dans ce genre de travail, la quantité d'action utile que les hommes fournissent, l'on remarquera que la charge moyenne des brouettes, dans un atelier composé d'hommes vigoureux, est à peu près de 70 kilogrammes; que le poids des brouettes, qui varie beaucoup, est moyennement de 30 kilogrammes.

Mais comme l'effet utile est mesuré par la quantité de terres transportées, multipliées par le chemin qu'elles parcourent; puisque les hommes font rouler la brouette chargée à 14,61 kilomètres de distance, l'effet utile journalier aura pour mesure le produit des deux nombres 70 et 14,61 multipliés l'un par l'autre : ce qui donne une quantité équivalente à 1022,7 kilogrammes transportes à un kilomètre.

Mais nous avons trouvé, art. 21, que lorsqu'un homme transporte à dos des fardeaux, le maximum de l'effet utile de son travail avait pour mesure un poids de 692,4 kilogrammes transportés à un kilomètre : ainsi l'effet utile que fournit un homme qui transporte des fardeaux sur une brouette, est à l'effet utile du même homme lorsqu'il transporte les mêmes fardeaux sur son dos, comme 1022,7 : 692,4 : : 148 : 100; en sorte que sur un terrain sec, uni et horizontal, 100 hommes avec des brouettes feront, à peu de chose près, la même quantité de travail que 150 hommes avec des hottes. 

De la quantité d'action que les hommmes peuvent fournir en sonnant, mouvement qui s'exécuté lorsqu'ils élèvent le mouton pour battre et enfoncer des pilots.
 

24. Dans l'action des hommes qui soulèvent le mouton et le laissent retomber sur la tète des pilots, l'action utile qu'ils fournissent est déterminée par le poids qu'ils élèvent, la hauteur à laquelle ils l'élèvent, et le nombre de coups qu'ils peuvent donner dans la journée. Voici ce qui se pratique très souvent, car il y a eu beaucoup de variétés dans la distribution des poids, relativement à la force des hommes.

Les moutons ordinaires pèsent de 350 à 450 kilogrammes. Une corde qui passe sur une poulie soutient d'un côté le mouton; à l'autre extrémité de la corde sont attachés dilférens cordons que les hommes saisissent avec les mains.

Lorsque le mouton porte sur le pilot, les hommes tiennent le cordon à peu près à la hauteur de leur chapeau ; laissant ensuite tomber la partie supérieure de leur corps en faisant effort sur le cordon, ils élèvent à peu près le mouton de 11 décimètres; l'on bat à peu près vingt coups par minute, et soixante à quatre-vingts coups de suite, après quoi les hommes se reposent autant de temps qu'ils ont travaillé. Malgré ce repos, on est obligé de les relever le plus souvent d'heure en heure.

En suivant ce genre de travail, tenant compte des différens repos, jamais je n'ai vu les travailleurs pouvoir résister à plus de trois heures de travail effectif dans la journée; le reste du temps est employé aux différens repos dont nous venons de parler, à placer et déplacer la sonnette, à redresser les pilots, etc. Lorsque les hommes sont très vigoureux, l'on met ordinairement sur la sonnette un nombre d'hommes tel, que chacun d'eux élève 19 kilogrammes du poids du mouton.

D'après ces données, la quantité d'action journalière dans ce genre de travail aura pour mesure le produit des trois nombres, 11 décimètres, 19 kilogrammes, et le nombre de coups battus dans trois heures de travail effectif, à raison de vingt coups par minute; ce qui donne une quantité équivalente à75,2 kilogrammes élevés è un kilomètre.

Si nous comparons cette quantité d'action avec celle qu'un homme produit lorsqu'il monte librement un escalier, quantité que nous avons trouvée, par l'expérience, égale a 205 kilogrammes élevés à un kilomètre, nous verrons que dans la sonnette le travailleur ne fournit qu'un peu plus du tiers de l'action qu'il produirait dans le second, cas, et qu'ainsi il serait facile, en employant la force des hommes de la manière la plus avantageuse, de faire en sorte qu'un seul homme produisit presque autant d'effet que trois de la manière dont ils sont employés dans la sonnette.

 

25. Le calcul d'après lequel l'on vient de déterminer l'action journalière des hommes battant les pilots, donne une quantité beaucoup trop considérable, si on la compare avec un travail du même genre, suivi pendant plusieurs mois de suite è la Monnaie de Paris, où des hommes frappaient des pieces de monnaie avec un mouton. Voici en quoi consistait le travail de la journée.

Le mouton pesait 38 kilogrammes; il était manoeuvré par deux hommes, qui faisaient par conséquent chacun un effort de 19 kilogrammes. Le mouton était élevé, a chaque coup, à 4 décimètres de hauteur; l'on battait dans la journée 5200 pièces, où, ce qui revient au même, l'on élevait le mouton 5200 fois.

Si, pour avoir la quantité d'action, l'on prend le produit des trois nombres, 19 kilogrammes,4 décimètre et 5200, l'on trouvera que la quantité d'action journalière était représentée par un poids de 39,5 kilogrammes élevés à un kilomètre; quantité qui n'est guère que la moitié de 75,2 kilogrammes, que nous avons trouvée pour la quantité d'action des hommes qui battent les pilots, et qui n'est que la cinquième partie de la quantité d'action journalière que fournit un homme lorsqu'il monte librement un escalier.

Mais il faut remarquer que les mêmes hommes ont travaillé à la monnaie pendant quinze mois de suite; au lieu qu'en battant des pilots, les hommes passent à un autre genre de travail lorsqu'ils sont fatigués, ce qui arrive bientùt.

Il me parait cependant probable que des hommes vigoureux, employés a l'eutreprise, auraient pu fournir, dans les travaux de la monnaie, une plus grande quantité d'action que celle qui résulte du calcul qui précède. La personne qui était chargée de là conduite de cet atelier m'a dit qu'un homme extrêmement fort, avait entrepris de mener lui seul un mouton, mais qu'il avait été obligé d'y renoncer au bout de quelques heures.

Je crois que cet homme aurait pu travailler plusieurs jours de suite, si, au lieu d'élever lui seul un poids de 38 kilogrammes à 4 décimètres, il n'eût fait un effort que de 19 kilogrammes; que sa main eût parcouru 8 décimètres au lieu de 4, et que, par un moyen quelconque, le mouton eût simplement été élevé de 4 décimètres, comme il l'était par l'action des deux hommes; ce qui produisait une chute qui, d'après l'expérience, suffaisait pour l'empreinte des pièces. En combinant ainsi la force et la résistance, il est probable que cet homme très vigoureux aurait suppléé les deux hommes qui battaient la monnaie, puisque dans son travail journalier il n'aurait fourni que la mème quantité d'action que les hommes qui battent les pilots peuvent fournir pendant quelques jours de suite.


26. Voici encore une expérience qui a quelque rapport au travail de la sonnette. J'ai fait, pendant deux jours de suite, tirer de l'eau d'un puits qui avait 37 mètres de profondeur. L'on puisait au moyen d'un double seau; je payais l'homme a raison de 25 centimes par dix seaux. Il a monté, le premier jour, 125 seaux; le second, 119. L'effort moyen, mesuré avec un peson, était de 16 kilogrammes. Je prendrai ici 120 seaux pour la quantité d'eau qu'il a pu élever dans un jour : ainsi, pour avoir la quantité journalière d'action, il faut multiplier ensemble les trois nombres, 16 kilogrammes, 37 mètres et 120; ce qui donne, pour l'effet ou la quantité d'action journalière, 71 kilogrammes élevés à un kilomètre, quantité à peu près la même que celle que nous avons trouvée pour la quantité d'action journalière des hommes qui battent les pilots.

 

Des hommes agissant sur des manivelles.

 

27. Je n'ai pu me procurer ni faire par moi-même des expériences directes pour déterminer ce genre d'action; ce qui va suivre est le résultat d'un assez grand nombre d'observations sur les machines dont on se sert dans les épuisemens. Mais, dans ces machines, la résistance que les hommes éprouvent est très difficile à évaluer. Dans les chapelets, par exemple, le choc des palettes et des hérissons, les frottemens des différentes parties, la perte de l'eau par le jeu de la machine, tout varie suivant l'état de la machine. Ces quantités ne sont pas les mêmes dans la machine en mouvement et dans la machine que l'on veut faire sortir de l'état de repos. D'ailleurs, ici, il est très difficile de mettre les hommes à l'entreprise, si l'on veut faire une expérience en remplissant quelques tonneaux, ce qui dure cinq ou six minutes; les hommes, pour lors, fournissent une quantité d'action qui annonce un produit journalier souvent double de l'effectif. J'aurais pu me procurer des résultats plus approchés, si, dans le temps où je suivais des travaux de ce genre, j'eusse substitué un treuil à manivelle avec deux seaux aux chapelets à épuisement. Il y a même apparence que ce moyen, fort en usage dans les campagnes, m'aurait fourni des résultats plus avantageux que les autres machines; car il y a peu de circonstances où deux seaux, un treuil et uue manivelle, ne soient pas preferables à toutes les machines à épuisement.

L'on évalue, dans la plupart des ouvrages de mécanique, la pression qu'un homme exerce sur la poignée de la manivelle, à 12 ou 13 kilogrammes. Je ne crois pas que, dans un travail continu, cette pression puisse s'estimer au-delà de 7 kilogrammes. La poignée de la manivelle parcourt le plus souvent un cercle de 23 décimètres de circonférence, et l'on compte sur 30 tours par minute. Mais en examinant pendant plusieurs heures les travailleurs, l'on voit que, lorsqu'ils exercent une pression de 7 kilogrammes, ils ne font guère que 20 à 22 tours par minute. Enfin l'on évalue le temps journalier du travail à dix heures par jour; et, dans les grandes travaux, l'on ne retient les travailleurs qui agissent sur les manivelles, qu'au plus huit heures, sur lesquelles ils ralentissent leur mouvement ou se reposent même assez pour qu'il ne soit possible d'évaluer qu'à six heures le temps du travail effectif, à raison de 20 tours par minute.

En calculant la quantité d'action d'après ces observations, il faut multiplier ensemble 7 kilogrammes, 23 décimètres, 20, et 360; ce qui donne, pour la quantité d'action journalière, 116 kilogrammes élevés à un kilomètre. En partant de ces résultats, si l'on voulait comparer les différentes quantités d'action fournies par les hommes qui montent librement un escalier, avec celle des hommes qui agissent sur la manivelle et la sonnette, l'on trouverait que les quantités d'action fournies par le mêmec homme, dans ccs différens genres de travaux, sont entre elles comme les nombres 205, 116, 75; quantités qui sont à peu près comme les nombres 8, 5, 3 : rapports qui probablement donnent une precision suffisante dans la pratique; car, dans une question de ce genre, il est inutile de chercher une exactitude dont la variété, qui se trouve entre les forces de différens travailleurs rend la détermination impossible.

La pratique, au surplus, paraît avoir décidé que les manivelles sont préférables à la sonnette; car presque toutes les machines employées dans les grands travaux pour les épuisemens sont mises en jeu per des manivelles.

 

De la quantité d'action que les hommes consomment dans leur travail journalier, lorsqu'ils labourent la terre avec la béche.

 

28. Il y a une si grande variété dans les résultats de cc genre de travail, qui dépendent de la nature du terrain et des saisons, et mémé du temps où les labours précédens ont été faits, ce qui a laissé prendre à la terre plus ou moins d'affaissement, et aux racines des plantes qui couvrent sa surface, plus ou moins d'étendue et de force, que les calculs qui vont suivre ne doivent être regardés que comme un exemple particulier qui doit servir à jeter quelque jour sur les travaux qui y sont analogues.

Le laboureur que j'ai employé, et qui a labouré de suite 8000 mètres carrés de terre, était vigoureux, intelligent, et habitué à travailler à la bêche. Les terres étaient très fortes et produisaient d'excellent blé : elles étaient dans cet état moyen d'humidité et de sécheresse qui convient le mieux au labour ; mais elles étaient très affaissées.

Le laboureur était payé au mètre carré, de manière que dans une bonne journée il pouvait gagner 2 francs et 50 centimes. Voici ce qui m'a paru résulter de l'expérience, d'après des quantités moyennes assez difficiles à apprécier.

Le laboureur enfonçait sa bêche de 25 centimètres, et à chaque coup de bêche il élevait moyennement un poids de terre de 6 kilogrammes, dont il portait le centre de gravité, on la retournant, à une hauteur qui était très variable, mais que j'ai cru, en prenant une mesure moyenne, pouvoir évaluer à 4 décimètres. La terre, quoique très pesante, s'ameublissait assez facilement, et ce n'était qu'après cinq ou six coup de bêche qu'il frappait quelques coups de son tranchant pour casser les mottes et unir le labour : il donnait à peu près vingt coups de bêche par minute. Le premier efffort pour enfoncer la bêche était moyennement de 20 kilogrammes : lorsque la bêche était enfoncée de quelques centimètres, la force pour continuer à l'enfoncer n'était guère que de 12 kilogrammes.

Dans les beaux jours, cet homme labourait une surface de l8l mètres carrés; ainsi la masse de terre remuée par le labour était de 45,25 mètres cubes. Le mètre cube de terre pesait 1898 kilogrammes.

De ces données il résulte que, puisque la terre etait élevée, pour la renverser à 4 décimètres, si l'on veut avoir la première partie de la quantité d'action équivalente au travail journalier, il faut multiplier ensembles les nombres 1898 kilogrammes, poids d'un mètre cube, 45,25, nombre des mètres cubes, et 4 décimètres, hauteur à laquelle le centre de gravité de chaque pelletée de terre est élevé par le laboureur ; le produit de ces trois quantités équivaut a un poids de 34,3 kilogrammes élevés à un kilomètre. Mais il faut remarquer qu'outre le poids de la terre, l'homme, à chaque coup de bêche, élève le poids de la bêche, qui peut s'evaluer à 1,7 kilogramme, à peu près le quart du poids des terres que la bêche retourne; ainsi l'on peut, par approximation, rcprésenter la quantité d'action consommnée à élever la terre, par 45 kilogrammes élevés à un kilomètre.

Il faut à présent chercher la quantité d'action nécessaire pour enfoncer la bêche, à chaque coup, à une profondeur de 25 centimètres. L'expérience nous a donné une résistance continue de 12 kilogrannnes, que l'on peut porter à 15, à cause du premier effort qui est au moins de 20 kilogrammes ; et en calculant, d'après le poids des terres, la quantité de coups de bêche donnés dans la journée, à raison de 6 kilogrammes par coup de bêche, nous trouvons que le laboureur donne dans la journée 14316 coups de bêche. Il faut donc, pour avoir cette seconde partie de l'action, multiplier ensemble les trois nombres, 15 kilogrammes, pression que l'homme exerce sur la bêche, 14316, nombre des coups de bêche, et 25 centimnètres, enfoncement de la bèche à chaque coup; le produit de ces trois quantités équivaut à un poids de 55,6 kilogrammes élevés à un kilomètre.

Ajoutons ensemble les deux quantités d’action; nous aurons, pour l'action totale de la journée, 96,6 kilogrammes élevés à un kilomètre.

ll serait difficile de déterminer la quantité d'action que l'homme emploie à casser les mottes et à étaler la terre. D'après la manière dont notre laboureur faisait cette opération, je ne crois pas qu’on puisse l'évaluer beaucoup au-delà de la vingtième partie du travail journalier. Ainsi l’on ne sera peut-être pas bien loin de la véritable valeur du travail journalier, en l'estimant à 100 kilogrammes élevés à un kilomètre.

Dans le travail du laboureur, l’on doit observer deux manières d'employer la force. Dans la première, l'homme, en appuyant du pied et du corps sur la bêche, l'enfonce dans la terre; il ne paraît pas que cette portion du travail puisse produire dans le travail journalier beaucoup plus de fatigue que lorsqu’un homme monte un escalier.

Dans l'autre partie du travail, les hommes soulèvent, par l'effort de leurs bras, la terre en même temps que la bêche; ainsi ils doivent probablement fatiguer au moins autant que lorsqu’ils agissent sur la sonnette. Nous allons voir si, d'après le calcul, l’on peut admettte (admette?) ces suppositions.

Dans le travail journalier des hommes qui montent un escalier, ils peuvent élever 205 kilogrammes à un kilomètre; mais la portion du travail journalier qui répond à l'enfoncement de la bêche, a été trouvée de 53,6 kilogrammes élevés à un kilomètre. Ainsi, en supposant que ces deux genres de travaux soient de même nature, la portion du travail journalier que le laboureur aura fournie en enfonçant sa bêche, sera égale à 53,6/205 = 0,261 partie du travail journalier.

 Il faut à présent ajouter à cette première quantité d’action celle de l’homme qui soulève la terre, en supposant qu’à fatigue égale il consomme la même quantité d’action qu’à la sonnette : nous avons trouvé par les expériences trois valeurs différentes; savoir, pour les hommes qui battent les pilots 75 kilogrammes élevés à un kilomètre; pour l’homme qui tire de l’eau d’un puits, 72 kilogrammes élevés à un kilomètre; pour un travail suivi pendant quinze mois à la Monnaie, 40 kilogrammes élevés à un kilomètre. En prenant une quantité moyenne entre ces trois valeurs, nous trouvons, pour le travail d’une journée, 62,3 kilogrammes élevés à un kilomètre. Mais nous avons vu dans cet article que la quantité d’action employée à élever et renverser la terre avec la bêche, était 45 kilogrammes élevés à un kilomètre; ainsi la portion du travail journalier du laboureur serait, pour cette partie de l’action, représentée par 43/62,3 = 0,69 centièmes du travail journalier. Joignons ces deux portions du travail du laboureur, et nous aurons, pour son travail de la journée, 0,26 + 0,69 = 0,95, ou, ce qui revient au même, 95 centièmes du travail de la journée.

Ainsi, en supposant que l’homme qui enfonce la bêche ne fatigue pas plus qu’un homme qui monte un escalier, et que l’homme qui relève les terres avec la bêche fatigue autant qu’un homme employé à la sonnette, nous ne trouvons, d’après cette comparaison, qu’un vingtième de perte d’action quantité que l’on peut négliger dans des recherches de la nature de celles qui font le sujet de ces Expériences.

Avant de finir cet article; je dois de nouveau avertir que le résultat qui précède est la mesure du travail d'un excellent laboureur, habitué à travailler dans les terres les plus fortes du département d'Eure-et-Loir. Il en est de l'art de labourer comme de tous les autres arts où les hommes consomment toutes leurs forces journalières; l'habileté consiste toujours à employer toute l'action utilement. Dans le labourage, par exemple, la distribution de l'action de l'homme doit varier suivant l'état, la nature des terres, et même la saison où se fait ce travail; mais un bon ouvrier emploie toutes les parties de son action d'une manière utile, tandis qu’un mauvais laboureur, quoique très vigoureux, laisse tomber à chaque coup de bêche la partie supérieure de son corps plus qu’il n’est nécessaire pour en foncer la bêche, et n’étant pas adroit à retourner la terre, il l'élève souvent plus qu’il ne faut, et il consomme ainsi en pure perte une partie de son action; d'où résulte qu’à fatigue égale, en donnant une façon moins bonne à la terre, il en laboure une moindre étendue.

Dans cet art, comme dans tous les autres, lorsque l'observateur veut se procurer les éléments nécessaires pour établir le calcul de l'action des hommes, il faut suivre un bon ouvrier payé à la pièce; mais en même temps, pour ne pas influer sur son travail momentané, il ne faut pas qu’il sache qu’il est observé.


29. Dans tous les articles qui précèdent, j’ai cherché à déterminer, d'après l'expérience, quelle est la quantité d’action journalière que les hommes peuvent fournir sous une charge quelconque, et j'ai supposé que, par cet instinct naturel à tous les hommes, ils prennent sous une charge donnée la vitesse qui économise le plus leurs forces. Les remarques qui vont suivre prouveront que cette supposition n’a pas pu occasionner des erreurs sensibles dans les résultats. Il parait même, d'après la pratique, que les hommes dans leurs travaux peuvent, à fatigue égale, produire la même quantité d'action journalière, on variant beaucoup leur vitesse, et coupant leur travail par de petits intervalles de repos.

Je prendrai, pour exemple, les hommes qui, d'après l'article 8, consommaient tout leur travail journalier à monter le bois à 12 mètres de hauteur. Dans cette expérience., chaque charge de 68 kilogrammes était montée à 12 mètres de hauteur dans un peu plus d'une minute, à peu pris 1,1 minutes. Ainsi, comme dans son travail journalier l'homme montait 66 charges, il consommait presque toute son action journalière dans une heure 12 minutes. Mais cette distribution de son action était coupée par des intervalles de repos, ou au moins d'un travail peu fatigant; tel, par exemple, que celui de charger ses crochets bûche à bûche, ot ces intervalles étaient beaucoup plus longs que ceux où il avait la charge sur le dos, car il montait les six voies de bois à peu près dans six heures et demie : en sorte que le temps de la présence sur le travail étant de six heures et demie, le temps effectif de la fatigue n'était que d'une heure 12 minutes : et ces six heures et detnie etaient coupées en 66 parties; chaque partie en deux autres, l'une de 1,1 minute, où l'homme était sous la charge, et l'autre de 4,8 minutes, où l'homme descendait l'escalier, chargeait ses crochets et fatiguait très peu.

Il parait que cette manière de couper en de petits intervalles d'action et de repos le travail des hommes qui portent de grands fardeaux, est celle qui convient le mieux à l'économie animale, et que les hommes préfèreut de marcher avec vitesse pendant quelques instans, et de se reposer complètement pendant quelques autres instans, a parcourir une même course dans un temps égal à ces deux intervalles, avec une vitesse plus lente, mais continue.

C’est ce que nous voyons tous les jours : car les hommes qui transportent des charges de 60 a 70 kilogrammes sur un terrain horizontal, marchent presque aussi vite que ceux qui ne sont pas chargés; mais, pour peu que la course soit longue, ils la coupent par plusieurs intervalles de repos.

Au surplus, quelle que soit la manière de diviser ces intervalles entre eux, ce qui varie probablement pour chaque homme, d’après sa constitution physique, il paraît, comme je l’ai déjà dit, que, dans les travaux où les hommes doivent consommer toute leur action journalière, on ne doit exiger d’eux, dans les vingt-quatre heures, que sept à huit heures de travail, coupées ou non par de petits intervalles de repos. Je parle des travaux où les hommes consomment dans un exercice violent toute leur action journalière; car il y a beaucoup de genres de travaux, surtout dans la partie des arts, d’une nature telle, que les hommes, en travaillant dix ou douze heures par jour, ne consomment qu’une partie souvent très peu considérable de la quantité d’action qu’ils peuvent fournir dans la journée.


CONCLUSION.

 

30. Je me suis principalement occupé, dans ce Mémoire, à déterminer de combien un fardeau plus ou moins grand peut diminuer la quantité d’action qu’un homme est capable de fournir dans sa journée. Les expériences qui ont servi de base à cette détermination ont été prises d’après les mouvemens les plus naturels et les plus ordinaires à tous les hommes tels que de marcher horizontalement ou de monter un escalier; il m’a paru en résulter, d’une manière évidente , qu'un homme, qui monte un escalier librement et sans aucune charge, peut fournir une quantité d’action presque double de celle que peut fournir le même homme chargé d’un poids de 68 kilogrammes, qui est à peu près la charge moyenne des hommes qui montent le bois dans les maisons. Mais, comme dans cette manière d’employer les forces il n'y a de travail utile que le fardeau transporté, il en résulte que l‘effet utile du travail, pour l’homme qui monte chargé n’est que le quart de la quantité totale d’action que fonnrnit, dans la journée, l‘homme qui monte naturellement un escalier; en sorte que, si un homme montait librement un escalier, et qu’en se laissant tomber par un moyen quelconque il élevât un poids égal à sa pesanteur, il produirait à peu près autant d’effet ou ferait autant de travail que quatre hommes montant à dos le même poids. Cette observation me paraît de la plus grande importance pour diriger les mécaniciens dans la construction des machines destinées a être mues par des hommes dont il faut toujours que les forces soient employées de la manière la plus avantageuse pour l’effet utile.

J’ai ensuite cherché à comparer la quantité totale d’action que les hommes peuvent fournir en montant librement un escalier, avec celle qu’ils produisent en agissant sur la sonnette, sur la manivelle, ete., et j’ai trouvé que l’homme qui monte librement un escalier peut produire deux fois au moins plus de travail que dans les autres moyens d'employer sa force. Les expériences qui ont servi de base à l’évaluation de la quantité d’action de la sonnette et de la manivelle ont toujours été faites dans de grands ateliers : je prie ceux qui voudront les répéter, s'ils n’ont pas le temps de mesurer les résultats après plusieurs jours d’un travail continu, d’observer les ouvriers à différentes reprises dans la journée, sans qu'ils sachent qu'ils sont observés. L'on ne peut trop étre averti combien l'on risque de se tromper en calculant, soit la vitesse, soit le temps effectif du travail, d'après une observation de quelques minutes.

Les résultats de tous les articles qui précèdent donnent des quantités d'action beaucoup moins considérables que celles dont la plupart des auteurs font usage dans le calcul des machines; mais ils se sont fondés presque tous sur des expériences qui ont duré quelques minutes et qui ont été exécutées par des hommes choisis; ils ont ensuite, d'après ces expériences, établi les calculs, en supposant sept a huit heures de travail effectif. Mais un homme peut, dans presque tous les genres de travaux, fournir pendant quelques minutes une quantité d'action double et mème triple de son travail moyen ; il peut mème consommer tout son travail journalier dans deux ou trois heures. C'est ce que nous avons vu dans l'article qui précède, oü les hommes qui montent le bois consomment tout leur travail journalier dans le temps où ils sont sous la charge, et ce temps n'est pas d'une heure et demie dans la journée.

Le choix des hommes influe encore beaucoup sur l'évaluation de leur force moyenne. J'ai suivi pendant dix ans des transports de terre, exécutés par les troupes, et payés, comme on le disait alors, à la toise cube. Je faisais le toisé toutes les quinzaines, et je trouvais presque toujours que les ateliers de grenadiers avaient gagné un tiers en sus des autres compagnies, et souvent le double des faibles ateliers. Si j'avais déterminé la force moyenne de tous les individus qui formaient l'atelier de grenadiers, je l'aurais trouvée d'un tiers plus grande que la force moyenne des autres ateliers : il est vrai, et c'est une remarque nécessaire à faire, que dans ce genre de travail, dont la principale partie consiste dans le roulage des terres, il ne se trouvait pas un seul homme faible dans l'atelier des grenadiers, et que deux ou trois mauvais travailleurs dans chacun des autres ateliers y ralentissaient tout l'ouvrage.

Enfin la quantité moyenne d'action varie encore suivant la nourriture, mais surtout suivant le climat. J'ai fait exécuter, par les troupes, de grands travaux à la Martinique; le thermomètre y est rarement au-dessous de 20 degrés : j'ai fait exécuter, en France, les mèmes genres de travaux parles troupes, et je puis assurer que sous ce 14e degré de latitude, ou les hommes sont presque toujours inondés de leur transpiration, ils ne sont pas capables de la moitié de la quantité d'action journalière qu'ils peuvent fournir dans nos climats.

 

Contents | About | Contact

Human Power eJournal